Les vins suisses ont leurs oscars (Tendance)
Les
vins suisses ont leurs oscars 2004
Le suspense est aussi intolérable qu’à Hollywood… Les vignerons
suisses connaîtront, le vendredi 22 octobre, pour la première fois,
des «champions» qui monteront sur la scène du Stadttheater de Berne.
Les quarante-huit vins «nominés» sont connus. Décryptage.
(Palmarès en fin de fichier!)
Par Pierre Thomas
Affirmer que les Valaisans ont toutes leurs chances n’est pas vendre
la peau de l’ours avant de l’avoir tué. Ils ont placé un «nominé»
sur deux dans la finale des 48 meilleurs vins. Comme il y a huit
catégories et chaque fois trois «médaillés» (or, argent, bronze), la
moitié des «nominés» sont assurés de crever l’écran à Berne, sans
compter les prix de l’innovation, du producteur le plus titré et du
vin le mieux noté.
Coupe Chasselas : retour en 2005
Avant cette apothéose, le palmarès est riche d’enseignements. Ce
premier «Grand Prix du Vin Suisse» est l’émanation à la fois de
l’Interprofession et de la revue «Vinum», qui voulait redonner du
tonus à la «Coupe Chasselas». Organisée depuis plus de dix ans,
celle-ci reprendra du service en 2005. Avec 52 chasselas dégustés en
finale en juin à Sierre (sur une présélection nationale de 203),
cette catégorie reste un concours, sans les aléas de l’élimination
directe par un jury populaire. Mais peu de vedettes ont réussi à se
mettre en évidence… Et le Sierrois Nicolas Zufferey, dernier
vainqueur de la «Coupe», a renoncé à y participer, comme une
vingtaine de très bons vignerons suisses.
Le millésime 2003, chaud et concentré, a favorisé des vins qui
savent exprimer leur finesse (à l’inverse d’une année froide et
pluvieuse). Trois Vaudois de La Côte figurent dans le dernier carré,
dont un féchy des Caves Cidis — Uvavins à Tolochenaz. C’est même le
seul vin d’une coopérative parmi tous les finalistes ! Deux saint-saphorin
complètent cette main-mise vaudoise, pour un seul fendant, «Balavaud»,
de Jean-René Germanier à Vétroz, un habitué de la Coupe.
Le pinot noir? Du «blauburgunder»!
La surprise vient aussi du pinot noir. Avec, au départ, un peloton
de 172 échantillons, les six finalistes sont tous alémaniques! Un
seul est valaisan, de Salquenen (Gregor Kuonen et fils, «Grand
Maître» 2002) et un autre grison (Daniel Marugg, «Sélection Bovel»
2002), contre trois schaffhousois et un zurichois. Aucun romand… et
pas un seul vin neuchâtelois de tout le palmarès. A l’exception de
la syrah «Le Diable rouge» de Burgdorfer et Cornut, à Satigny, les
chances genevoises reposent sur les (deux) épaules de Maurice Dupraz,
le vigneron de l’Etat, qualifié avec un chardonnay et un
gewurztraminer de Lully. Mais où sont les «vignerons-indépendants»
du bout du lac? Cette lourde absence traduit celle du gamaret et du
garanoir, présents certes en petite proportion dans les assemblages
rouges de Yann Menthonnex et Yvan Parmelin, de Bursins (VD), mais
pas «en pureté».
Une razzia tessinoise
Dans leur catégorie, les deux jeunes Vaudois font face à un trio
valaisan : l’«Ardévine» de l’expérimenté Michel Boven, à Chamoson, le
Diolinoir de l’épatante Cave du Paradou, à Nax et le «Gastolino»
du président des œnologues suisses, Xavier Bagnoud, à Leytron. De
ces vins, tous de 2002, le sixième est un Malcantone, «Rosso dei
Ronchi», de Sergio Monti, ancien président des vignerons suisses, à
Cademario. Cette cuvée complète le triomphe des Tessinois dans les
«vins rouges de monocépages en barriques». Six sur six avec des
merlots : le «Culdrée» de Trapletti, le «Gransegreto» de
Valsangiacomo, le «Leneo» des frères Corti, le «Platinum» de Brivio,
le «Trentasei» de Gialdi et le Vinattieri du domaine homonyme, tous
réputés.
Vedettes contre… et pour
Et ce, malgré la défection du Tessinois Christian Zündel,
réfractaire: «Nous n’avons rien à gagner dans ces joutes olympiques.
Un vin s’apprécie pour ses qualités et pour le travail de l’homme
qui le signe.» Voilà pourquoi, il est vain de chercher les Genevois
Bonnet ou Novelle, les Vaudois Dugon ou Cavé, le Grison Gantenbein,
le Biennois Giauque… Ces vignerons emblématiques n’apparaissent pas
dans le palmarès et sont absents du bottin des vignerons. Pourtant,
ils font bel et bien l’image du vin suisse.
En revanche, parmi les gloires confirmées, Claudy Clavien de Miège (johannisberg),
Jean-Daniel Favre, de Chamoson (petite arvine), Daniel Magliocco, de
Saint-Pierre-de-Clages (païen), Stéphane et Dany Varone, de Savièse
(païen et surmaturé), Serge Roh, de Vétroz (cornalin), Denis
Mercier, de Sierre (ermitage), Philippe Darioly, de Martigny
(ermitage flétri), Maurice Giroud, de Chamoson (cornalin et merlot)
et, last but not least, Marie-Thérèse Chappaz, de Fully, avec son
ermitage sec «Grain d’or» 2002 et sa marsanne liquoreuse «Grain
Noble» 2001. Mais la diva valaisanne en a-t-elle encore 500
demi-bouteilles à céder après le concours? C’était une des
conditions du concours qui a écarté ceux qui vendent bien leurs
vins.
Eclairage
Une fusée à cinq étages
Au pays du compromis et de la grande complication, spécialité
d’horlogerie de haute précision, cette mobilisation générale de la
vitiviniculture n’échappe pas à la lourdeur du système de sélection.
Jugez-en : d’abord (étape 1) 3247 vins ont été dégustés dans huit
régions, dont près de mille dans les cantons de Vaud et du Valais.
Ils ont débouché sur une sélection de 974 vins (étape 2), propulsés
«ambassadeurs régionaux» sans distinction de rang ni de qualité dans
le «Guide des vins suisses» à paraître simultanément. Parmi ces
quelque mille finalistes, un jury national convoqué par
l’Interprofession suisse du vin en a promu 291 «ambassadeurs
nationaux» (étape 3). Ils sont signalés par un sigle dans le guide,
sans autre commentaire. L’exercice «officiel» s’est arrêté là.
Ensuite, «Vinum» a sélectionné parmi les 974 échantillons du
concours national, 308 finalistes (étape 4): 44,5% de vins
valaisans, 20,5% de vaudois, 11,4% de tessinois, etc. Un autre jury,
moins lié aux professions vitivinicoles, a sélectionné les 48
finalistes (étape 5). Reste à savoir si ce branle-bas de combat,
subventionné par la Confédération, va pouvoir se dérouler tous les
deux ans, comme prévu initialement.
Le palmarès du Grand Prix du vin suisse 2004
Les Valaisans de VINEA l’ont organisé, pour l’Interprofession du
vin suisse, et les triomphateurs du premier Grand Prix du vin suisse
sont des vignerons… valaisans. Tel est le verdict rendu public à
Berne, vendredi 22 octobre.
Les Valaisans sont tous des vignerons confirmés. L’encaveur de
Chamoson Michel Boven s’impose pour sa grande régularité. Denis
Mercier, de Sierre, cumule deux prix pour son Ermitage 2001,
meilleur vin doux, et aussi le mieux noté (95,2 points sur 100)
parmi les 300 de la finale du concours. En blanc en barriques, le
Domaine Cornulus, à Savièse, s’impose avec un païen, «Cœur du Clos»
2002. Le même cépage permet au «Franc Tireur» 2003 des Fils Maye SA,
à Riddes, de gagner dans les blancs secs monocépages. Le fendant
Balavaud, Grand Cru de Vétroz, de Jean-René Germanier, remporte la
Coupe Chasselas.
En rouge, sacre de deux valaisans encore, le cornalin 2003 de Serge
Roh, de Vétroz, meilleur vin rouge classique, et le Grand Maître
2002, du Caveau de Salquenen, Gregor Kuonen et fils à Salgesch,
meilleur pinot noir. La seule relative surprise est venue de deux
Tessinois : l’un, Sergio Monti l’emporte parmi les assemblages
rouges, avec le «Rosso dei Ronchi 2002». Et c’est un ex-conducteur
de locomotive, Enrico Trapletti, qui coiffe, pour les rouges en
barriques, les autres merlots avec son «Culdrée» 2000.
Articles parus dans Hôtel+Tourismus Revue, Berne, en octobre 2004 |